Lucie
« Dans mon four solaire, je vis paisiblement. J’imagine déjà tendre un cable de la cabane de verre jusqu’au soleil, en une longue tyrolienne enchantée. Ailleurs, la vie d’une proche s’échappe mais ici la vue exulte. Et c’est sur la grande langue de pelous qu’elle est la plus forte. Samedi soir de tendresse, les enfants roulent dans l’herbe, se coursent et crient. Ils sont les seuls à me voir. Je veille sur eux ; et je descends mon regard, c’est plus fort que moi. La musique est trop forte et la pelouse est si verte. Le soleil va finir sa course derrière les immeubles, c’est sûr. Mais en bas, ils ne le savent pas. Lui non plus semble ne pas vouloir renoncer. Il envoie sur tous les bâtiments un rai blanc puissant, qui les vitres renvoient en miroir.
Dans mon four solaire, je suis paisiblement. Je recule, je tourne en rond et je vise des endroits précis. Je suis à hauteur d’oiseau, à hauteur de cime d’arbre. Je suis une feuille, légère, qui va planer et virevolter, avant de tomber sur cette pelouse si verte. Un enfant me trouvera-t-il ? Barbe-à-papa, vélos, voiles, ballons et même un dragon de papier à six jambes. Le spectacle est saisissant, le bruit assourdissant. Regarder le ciel pour s’échapper, reculer dans la cabane pour mieux profiter de l’instant.
Dans mon four solaire, je vois paisiblement. Les lignes blanches laissées par les avions et forment des lettres en se croisant et le soleil et a décidé de ne pas faire ce que je lui avais commandé. Il ne terminera pas sa course derrière les immeubles. Il s’écrasera contre des nuages tout doucement et finira par se confondre avec eux. Une heure a dû passer, c’est sûr, et pourtant la porte de la cabane ne s’ouvre pas.
Dans mon four solaire, ça y est, je n’y suis plus. »
Lucie