
Gérald
C’est la fin d’une heure de veille, je pensais perdre le fil du temps.
Raté ! Dans un cadre de lumière, reflet de l’éclairage de la cabine, la voilà qui apparait, pile en face, la tour de l’horloge, comme le nez au milieu de la figure.
« On ne voit que toi, là, où veux-tu que je regarde ? »
Ou plutôt, qui veux-tu que je regarde, ou quoi ? Là aussi, inutile de chercher midi à quatorze heures, ils s’étalent comme des gros chats et s’illuminent dans le noir, les trains de la gare de Lyon. De l’art de regarder les trains qui passent, comme dans ce film écossais.
Quoi encore ? Une croisée des chemins, juste en bas. A gauche ? A droite ? Jamais la rue de Charenton ne m’était apparue comme un choix. Si je continue vers Bastille, je rentre dans Paris. Si je prends la rue Crozatier, je file vers le faubourg et si je longe tout droit, me voilà à Montmartre.
Je n’avais jamais réalisé qu’en tirant une bordée comme sur un bateau à voile, je me retrouverais au Sacré-Cœur, par cette drôle de tranchée verte, sur la droite, bon sang, mais quelle est cette avenue ?
Me voilà passé des trains aux bateaux. Pourtant, pas de traces de la Seine, elle est cachée tout du long. Mais à veiller depuis là-haut, les cartes sont brouillées et il faut se repérer comme un marin avec les côtes ou un nomade avec les collines. Tracer des bords.
Donc je regarde mes pieds et je les place sur les planches du parquet.
Tout droit, la tour de l’horloge, je l’ai déjà dit, et puis le Panthéon qui surnage derrière les buildings de la rue de Bercy, et la tour Montparnasse, et le ballon du parc Citroën.
Et puis la perspective de la Défense à l’Arc de Triomphe, qui nous amène la patrouille de France au beaux jours dans notre faubourg.
Et derrière, à l’Est, pas grand-chose de nouveau, la Montagne des Singes et c’est déjà beaucoup, elle était déjà là avant la création de Lutèce.
Et puis dessous, qui voilà à veiller ? Ma famille qui me fait des grands signes, et qui rencontre des amis, ah bon ? Il est là-haut et qui parlent et rigolent pendant que je veille. C’est-à-dire que je ne m’endors pas, en fait, rien de plus, je regarde pour ne pas que mes paupières tombent, tout ce qui me tient éveillé.
Le temps s’écoule, l’heure est passée, la nuit arrive et la tour Eiffel est la première à s’allumer. C’est elle qui prend son quart.
On vient me chercher…