Témoignages

Année #1, La Maison populaire

La Maison du parc du 02/10/2021 au 02/10/2022

Arnaud

jeudi 28 avril 2022 à 06 h 34

« Le dic­ta­teur a tenté de mettre un terme à sa guerre com­men­cée quel­ques mois plus tôt en appuyant sur le bouton nucléaire. Je croyais avoir été malin en cons­trui­sant un abri ato­mi­que sur le toit d’une maison du parc dans le 9-3, domi­nant Paris et la ban­lieue. Je m’y étais ins­tallé quel­ques jours plus tôt. Depuis, chaque matin, je m’éveillais à l’heure exacte du lever de soleil, que la bombe n’avait pas altéré. J’étais seul dans ma boîte vitrée à l’est et à l’ouest. Je me sen­tais tel un gar­dien de phare, à veiller sur cette ville dans laquelle je vivais depuis si long­temps.

La bombe ayant explosé à 1km d’alti­tude, elle était demeu­rée intacte, seu­le­ment vidée de la plu­part de ses armes. Les ani­maux avaient sur­vécu, en par­ti­cu­lier chiens et oiseaux. Étrangement, quel­ques per­son­nes avaient également sur­vécu mais ils ne devaient pour cer­tains jamais cesser de courir, d’autres devaient être accom­pa­gnés de leurs chiens, enfin cer­tains étaient contraints de rouler, enfer­més dans leur voi­ture, sachant que la panne sèche les condam­nait à rejoin­dre les dis­pa­rus.

Ce matin-là encore, l’homme au polo rouge arpen­tait de gauche à droite le parc en cou­rant sans cesse, tel un zombie, jusqu’à ce que l’épuisement total s’empare de lui et le condamne. L’homme âgé pro­me­nait son chien qui depuis quel­ques jours ne lâchait jamais sa balle jaune. La jolie femme et sa chienne mar­ronne ces­sait de ren­trer et sortir du bois. Une hiron­delle est passée, appor­tant quel­ques joies.

Je veillais donc sur cette terre écorchée, sur ses immeu­bles, dont on pou­vait relier la cons­truc­tion à un épisode de l’his­toire du 20e siècle, ceux ayant rem­placé la zone cer­nant la ville, ceux cons­truits après-guerre, ceux cons­truits rapi­de­ment pour loger les popu­la­tions vivant pré­cé­dem­ment dans des bidon­vil­les, ceux encore des­si­nés par quel­ques archi­tec­tes sou­cieux de lais­ser son nom dans l’his­toire, grâce à un geste archi­tec­tu­ral hasar­deux. Je pou­vais recons­ti­tuer l’his­toire, mais sans ceux qui l’ont vécu, ou ceux qui en sont les dépo­si­tai­res, quel inté­rêt ?

Ce matin-là, le vent souf­flait sur les arbres intac­tes. Je regar­dais l’hori­zon bloqué par le sky­line aléa­toire. Je regar­dais le ciel, il y avait une nou­veauté ce jour-là, les avions rem­plis de gens qui pou­vaient sur­vi­vre en alti­tude, fen­daient en deux le ciel. Il s’arrê­tait à des arrêts éphémères cons­truits par la vapeur de leur réac­teur, quel­ques per­son­nes en des­cen­daient, je les voyais rapi­de­ment dis­pa­raî­tre dès lors que la raie se désin­té­grer. J’ai donc conti­nué à veiller seul, là dans mon abri. Mais seul, face à soi-même, plus d’une heure, cela a-t-il un sens ? »

Arnaud

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